Coronavirus : qu’en est-il au juste pour les enfants ?

Dans un contexte de réouverture progressive des écoles dans plusieurs pays d’Europe, beaucoup de choses, souvent contradictoires, ont été dites à propos des enfants face au virus SARS-Cov-2 et à la maladie Covid-19. Sans être infectiologue ni virologue, mais seulement en qualité de philosophe des sciences et plus précisément de la médecine et de la biologie, je tente ici un point sur la base des dernières données au 30 avril 2020, en mettant en évidence les différences d’approches cherchant à accroître le savoir médical.

Trois questions en particulier se posent : 1) les enfants sont-ils moins infectés que les adultes ? ; 2) sont-ils moins contagieux que les adultes ? ; 3) une forme dérivée de maladie de Kawasaki est-elle liée à la Covid-19 ?

1) Évaluation de la susceptibilité des enfants à l’infection : des approches épidémiologiques

Une étude publiée en ligne dans la revue Science le 29 avril et qui utilise des données recueillies entre le 1er et le 10 février en Chine (Wuhan, Shanghai et province de Hunan pour la recherche des personnes contacts) a calculé la susceptibilité à l’infection par le virus en fonction de l’âge, en développant un modèle mathématique de transmission de la maladie à partir des données empiriques. Il en ressort que la susceptibilité à l’infection par le SARS-Cov-2 augmenterait avec l’âge. Ainsi, les adultes de plus de 65 ans seraient plus susceptibles de contracter l’infection que les adultes de 15 à 64 ans, tandis que les enfants de 0 à 14 ans le seraient moins. Cela ne signifie pas que ces enfants ne seraient pas ou très peu susceptibles de la contracter, mais qu’ils le seraient moins que les autres tranches d’âge, selon un calcul de ratio de probabilités (appelé odds ratio ou ratio de cote en épidémiologie). Plus précisément et en simplifiant, par rapport à la tranche d’âge 15-64 ans, les enfants de 0 à 14 ans auraient, selon cette étude, environ 3 fois moins de risques de contracter l’infection, tandis que, par rapport à la même tranche d’âge, les personnes de 65 ans et plus auraient presque 1,5 fois plus de risques de la contracter. Supposons (hypothèse fictive) que le taux d’infection pour les personnes de 15 à 64 ans est de 10 pour 1000, alors il serait d’environ 3 pour 1000 chez les enfants, et de 15 pour 1000 chez les 65 ans et plus.

La corrélation entre le risque d’infection et l’âge avancée dans cette étude contraste avec les résultats d’une autre étude épidémiologique publiée en ligne le 27 avril dans la revue The Lancet, disant que les enfants seraient aussi susceptibles d’être infecté.es que les adultes, en particulier via le milieu familial. Les données de base ont été recueillies dans la ville de Shenzhen en Chine, entre le 14 janvier et le 12 février. C’est aussi une autre méthode de calcul qui est utilisée : taux d’infections chez les enfants de moins de 10 ans comparé aux taux moyen d’infection en population générale (7,4% versus 6,6%). Les enfants développeraient en revanche moins souvent de symptômes sévères que le reste de la population infectée (la part des symptômes sévères augmentant surtout à partir de 40 ans).

Les deux études sont difficilement comparables compte tenu des différences de méthode, de période de référence et de villes étudiées. Elles se rejoignent en revanche sur un point : le contrôle de la propagation de l’épidémie requerrait de prendre des mesures de contrôle concernant les enfants, même s’ils sont peu malades comparativement au reste de la population, car ils seraient vecteurs de transmission. L’étude qui trouve une susceptibilité de contracter l’infection moindre pour les 0-14 ans souligne même que la fermeture des écoles, si elle ne peut endiguer à elle seule la transmission du virus, permettrait de réduire le pic de celle-ci de 40 à 60% et de ralentir l’épidémie.

2) Évaluation de la contagiosité des enfants : une approche biochimique et statistique

Même un plus faible ratio de susceptibilité chez les plus jeunes ne dit rien sur la contagiosité parmi ceux qui contractent l’infection (les 3 dans notre exemple fictif ci-dessus). Une étude allemande dirigée par Christian Drosten, directeur de l’Institut de virologie de la faculté de médecine de la Charité à Berlin, a été mise en ligne le 29 avril sur le site de l’université. Il ne s’agit donc pas d’une publication revue par les pairs.

L’étude pointe les difficultés et limites de l’évaluation du rôle des enfants dans la propagation du coronavirus par des observations épidémiologiques : dès lors que des mesures dites de distanciation sociale sont en place et que les écoles et les jardins d’enfants sont fermés, il est difficile d’identifier le risque réel pour des sujets de n’importe quel groupe d’âge (y compris des enfants) d’être infectés par des enfants. En outre, les études cliniques basées sur la manifestation des symptômes pouvant faire suspecter la Covid-19 induisent une sous-représentation des enfants, qui sont souvent asymptomatiques ou faiblement symptomatiques. La détection clinique des cas chez les enfants n’est donc pas un indicateur fiable de la prévalence de l’infection parmi la population infantile. Et la prévalence de l’infection possiblement majoritairement asymptomatique chez les enfants ne permet pas d’établir une faible contagiosité, dans la mesure où la charge virale chez les asymptomatiques ne serait pas moindre que chez les personnes déclarant de premiers symptômes, selon une étude mise en ligne en pre-print et devant encore être revue par les pairs. Ajoutons qu’une étude chinoise parue mi-avril dans la revue Nature Medicine tendait à montrer une contagiosité maximale un peu avant et au moment de la survenue des premiers symptômes. De leur côté, les centres de contrôle et de prévention des maladies américains (CDC), considérant que les personnes atteintes de manière asymptomatique et bénigne, y compris les enfants, jouent probablement un rôle dans la transmission et la propagation de la Covid-19, préconisent des mesures de distanciation sociale y compris pour les enfants.

Pour tenter de pallier les difficultés rencontrées sur la question de la contagiosité des enfants, l’étude de Drosten propose de procéder à partir d’analyses directes de la concentration du virus dans les voies respiratoires, endroit du corps par lequel les sujets infectés sont le plus susceptibles d’être contaminants (projection de gouttelettes en toussant, parlant, riant, etc.). Elle donne ainsi des mesures de charge virale du SARS-Cov-2, qu’elle rapporte alors à l’âge des patient.es. Ces mesures ont été réalisées par la technique du test RT-PCR, en particulier au sein de l’Institut de virologie dirigé par Drosten. L’Institut en question a d’ailleurs été le premier laboratoire qualifié pour tester le SARS-CoV-2 en Allemagne et, jusqu’au début du mois de février 2020, il était le seul centre de test pour le SARS-CoV-2 à Berlin.

Il ne s’agit pas ici de déterminer quelle proportion d’enfants est susceptible d’être infectée relativement à d’autres tranches d’âge, mais de savoir si la charge virale chez les enfants infecté.es est différente, et notamment moindre, que chez les adultes, grâce à des mesures en laboratoire après prélèvements. L’équipe de Drosten a utilisé trois méthodes d’analyse statistique dites post-hoc, c’est-à-dire spécifiées après l’obtention des données et non en amont. Ces méthodes ont été utilisées sur deux catégorisations différentes de tranches d’âge : une catégorisation par dizaine d’années (0-10 ans, 11-20 ans, 21-30 ans, etc.), et une catégorisation par grandes couches sociales (jardin d’enfants, école primaire, collège et lycée, université, adulte, âge mûr). Selon les auteur.es, il n’en ressort aucune différence significative de charge virale entre les sous-groupes dans l’une ou l’autre des catégorisations d’âge.

Cette étude ne permet pas à proprement parler d’établir un taux de transmission du virus par les enfants, mais seulement le niveau de charge virale comparativement à d’autres tranches d’âge. Cependant, les auteur.es considèrent que la charge virale dans les voies respiratoires constitue une indication indirecte de la contagiosité, par extrapolation. Des expériences en laboratoire (cultures cellulaires) ont en effet établi, selon les auteur.es, une corrélation entre la charge virale et la contagiosité. Sur ces bases, l’étude conclut que les enfants pourraient être aussi contagieux que les adultes, et qu’à tout le moins, il n’y a pas de preuves du contraire.

3) Maladie de Kawasaki et Covid-19 chez les enfants

Enfin, une dernière question est posée depuis maintenant quelques jours, à propos de l’augmentation de cas d’enfants souffrant d’un syndrome inflammatoire évoquant, sous une forme atypique, la maladie rare de Kawasaki. Le 27 avril, la Paediatric Intensive Care Society britannique (Société de soins intensifs pédiatriques) a publié, à la suite de la réception d’un mail d’alerte envoyé par le National Health Service (NHS) anglais, un communiqué à ce sujet. Un article accepté pour publication par la revue Hospital Pediatrics, et pré-publié pour l’heure dans une version provisoire, rapporte en outre le cas d’un enfant présentant un syndrome de Kawasaki associé à la Covid-19. La question posée est précisément celle de savoir si cette augmentation des cas, désormais observée dans plusieurs pays (Royaume-Uni, Italie, Espagne, France…), tout en restant rares, est effectivement liée à la Covid-19 ou non.

Le syndrome de Kawasaki est une maladie inflammatoire systémique aiguë pouvant entraîner de graves séquelles cardiaques. Il se trouve qu’une équipe de recherche suisse a proposé le 20 avril dernier dans une publication mise en ligne par la revue The Lancet, de reconsidérer la Covid-19 non pas seulement comme une maladie à syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS ou SARS en anglais) affectant principalement les poumons, mais comme une inflammation systémique de l’endothélium, tissu qui constitue le revêtement interne des vaisseaux sanguins. Ceci permettrait d’expliquer pourquoi la Covid-19 touche d’autres organes que les poumons, comme le cœur, les reins ou le cerveau (pour plus de détails, voir l’article de Marc Gozlan « Covid-19 est aussi une maladie inflammatoire vasculaire »).

Quoi qu’il en soit, le 30 avril, l’hôpital Necker de Paris, spécialisé en pédiatrie, a confirmé, lors d’une conférence de presse de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le lien entre le syndrome affectant les quelques enfants signalé.es en France et admis en réanimation, et le SARS-Cov-2, le contact de ces enfants avec le coronavirus antérieurement à l’inflammation étant désormais avéré.

Que conclure ?

On le voit, déterminer si les enfants sont autant ou moins susceptibles d’être infecté.es par le SARS-Cov-2 que les adultes, si leur contagiosité est comparable à ou moindre que celle des adultes, et si les formes graves de développement de la maladie les épargnent globalement ou non, n’est pas évident. Si, cependant, les enfants semblent manifestement bien moins affecté.es par des formes graves malgré la possible contraction d’un syndrome inflammatoire systémique dans quelques cas, il paraît plus délicat d’affirmer que la population infantile est sensiblement moins affectée par le virus et sensiblement moins contagieuse lorsqu’elle en est atteinte. Différentes manières d’étudier la question, qu’elles soient épidémiologiques ou qu’elles mêlent des analyses de laboratoire et des méthodes statistiques, et tout en présentant des limites, ne permettent semble-t-il pas de l’affirmer. L’approche clinique paraît quant à elle défavorisée par la part importante de cas asymptomatiques, mais aussi par les mesures de distanciation sociale ayant conduit à la fermeture des écoles, pour pouvoir trancher en faveur d’une moindre susceptibilité à l’infection et d’une moindre contagiosité des enfants. Par ailleurs, certaines études qui alimentent les débats n’ont pas encore été revues par les pairs, tandis que d’autres font l’objet d’une publication en bonne et due forme dans des revues reconnues internationalement. Nous sommes donc toujours en situation d’incertitude, même si nous en savons plus qu’il y a quelques semaines sur le SARS-Cov-2 et sur la Covid-19. Dans une telle situation, les chercheurs et chercheuses dont les études sont citées ici invitent plutôt à une très grande prudence concernant la réouverture des écoles.