Coronavirus : fin de partie pour « le nombre de cas positifs augmente parce que l’on teste plus »

Une affirmation qui a toujours été fausse

L’affirmation selon laquelle la hausse du nombre de cas positifs au SARS-CoV-2 serait essentiellement due à l’augmentation du nombre de tests, qui court depuis quelques semaines, et qui réduit la variation du nombre de cas positifs à la variation du nombre de tests, est fausse depuis le début de la campagne de tests démarrée avec le déconfinement en mai. Pour qu’elle soit vraie, il faudrait que le taux de variation du nombre de tests (ou du nombre de personnes testées, que je retiens ici*) soit au moins proche de celui du nombre de cas positifs. Or, en calculs hebdomadaires (voir graph. 1), à l’exception de la semaine du 1er au 7 juin (où il s’est agi de variations en négatif autour de -21% pour les deux taux), cela n’a jamais été le cas. Au contraire, les écarts entre ces taux de variation sont presque systématiquement importants, le plus souvent compris entre 10 et 20%, avec même un renforcement considérable de cet écart sur les deux dernières semaines à l’heure où j’écris ces lignes, puisqu’il atteint 37 à 38%.

Cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune corrélation entre les variations du nombre de tests (pas toujours à la hausse par ailleurs), et les variations du nombre de tests positifs. Mais ces dernières ne peuvent être réduites aux premières. Au mieux, on pourrait faire l’hypothèse (qui ne serait qu’une hypothèse) que la part de la variation du nombre de tests positifs égale à la variation du nombre de tests est due à cette dernière (ce qui reviendrait en outre à considérer la corrélation comme une causalité). Mais cette hypothèse est fragilisée par les semaines où les variations ne vont pas dans le même sens (hausse du nombre de tests avec baisse du nombre de cas positifs, comme la semaine du 25 au 31 mai, ou inversement, comme la semaine du 15 au 21 juin ou du 10 au 16 août). En outre, la hausse du nombre de tests n’a le plus souvent pas entraîné de hausse équivalente du nombre de tests positifs, dont le taux de croissance a régulièrement été moindre jusqu’à la mi-juillet, ce qui affaiblit encore l’hypothèse (si l’hypothèse était vraie, on s’attendrait à ce que le taux de croissance des tests positifs soit au moins équivalent au taux de croissance des tests réalisés).

On constate depuis la mi-juillet que le taux de croissance hebdomadaire des tests positifs est systématiquement supérieur au taux de croissance des tests réalisés, et même que l’écart se creuse. Ceci finit d’invalider l’affirmation selon laquelle le nombre de cas positifs augmente parce que l’on augmente le nombre de tests. Cet écart qui se creuse se retrouve dans un autre indicateur : le taux de positivité, c’est-à-dire la part des tests positifs sur les tests réalisés (graph. 2). Celui-ci est en hausse constante depuis 5 semaines : il est passé de 1,12% la semaine du 6 au 12 juillet, à près de 3% la semaine du 10 au 16 août. Soulignons que le nombre de tests réalisés par semaine est sensiblement le même sur les 3 dernières semaines (entre 527 et 544 000), tandis que le taux de positivité a été multiplié quasiment par 2 sur la même période.

Les vingtenaires particulièrement touché.es, les plus âgé.es de moins en moins ?

Avant d’étudier les données par tranches d’âge, soulignons qu’elles concernent une population sélectionnée, la population des personnes testées, et non la population générale. On ne peut donc en tirer des conclusions ni sur l’incidence de l’infection au SARS-CoV-2 dans la population générale, ni sur son incidence par tranche d’âge en population générale. On ne peut en effet établir que la population testée serait représentative de la population générale. De fait, ce n’est pas le cas : 1) la pyramide des âges des personnes testées ne correspond pas à la pyramide des âges de la population en France ; 2) la pyramide des âges des personnes testées varient d’une semaine sur l’autre (graph. 3). Ainsi, la part des 0-9 ans parmi les personnes testées a pu varier du simple au double entre la semaine du 18 au 24 mai (4,9%) et celle du 29 juin au 5 juillet (10,7%), pour redescendre à 4,3% la semaine du 3 au 9 août, tandis que la part de la même tranche d’âge dans la population générale s’établit à 11,4% au 1er janvier 2020 (source INSEE). La part des 20-29 ans parmi les personnes testées a quant à elle augmenté de près de 6 points entre la semaine du 18 au 24 mai et celle du 3 au 9 août (12,3% vs 18,1%), tandis que la part de cette tranche d’âge dans la population générale en 2020 est de 11,1%. Enfin, comme dernier exemple, la part des 80-89 ans parmi les personnes testées a été divisée par deux entre la semaine du 18 au 24 mai et celle du 3 au 9 août, passant de 9,2 à 4,5%, soit un taux proche de celui de la part de cette tranche d’âge dans la population générale en 2020 (4,9%). Comme on va le voir, une attention particulière doit être portée sur ces tranches d’âge lorsque l’on analyse les données sur les tests positifs, afin de ne pas les interpréter de façon trop affirmative.

Ceci étant rappelé, si l’on s’intéresse à l’évolution des taux de positivité par tranches d’âge (graph. 4), on observe que celle des 20-29 ans est particulièrement concernée, et qu’elle augmente sensiblement au fil des semaines (12,2% du 13 au 17 mai – semaine incomplète, les données disponibles débutant au 13 mai -, 18,5% du 13 au 19 juillet, 30,6% du 10 au 16 août). La part des 30-39 ans a également augmenté, dans une proportion moindre, de 11-13% en mai à 18-19% dans la première quinzaine d’août. Ces deux tranches d’âge représentent désormais près de la moitié des cas positifs détectés.

La part des personnes les plus à risque sur critère d’âge (ce qui ne dit rien du critère de comorbidités, dont on sait qu’il est également important), en revanche, n’a cessé de décroître. Ce phénomène permet sans doute d’expliquer en partie le fait que la hausse des cas positifs détectée ne se traduise pas dans les mêmes proportions par la hausse des indicateurs hospitaliers, observée depuis 4 à 5 semaines. On peut faire l’hypothèse, en revanche, que la diffusion du virus parmi les jeunes, entretenant sa circulation dans la population, pourrait finir par entraîner une diffusion parmi les personnes plus âgées, soit directement (liens avec les grands-parents), soit indirectement (liens avec les parents, eux-mêmes en lien avec leurs propres parents). Cette hypothèse devrait pouvoir être confirmée ou infirmée dans les prochaines semaines, en observant l’évolution dans les tests positifs de la part des tranches d’âge les plus élevées, ainsi que l’évolution des indicateurs hospitaliers et de décès. Cependant, la non représentativité de la population testée par rapport à la population générale doit nous inviter à la prudence quant à la transposition en population générale des observations concernant la population testée. Notamment, la part des 20-29 ans dans la population testée est surreprésentée par rapport à sa part dans la population générale, ce qui peut induire également une surreprésentation du taux de tests positifs dans cette tranche d’âge par rapport à ce qu’elle pourrait être effectivement en population générale. Il se peut aussi que cette surreprésentation soit due au fait d’un réel taux de positivité supérieur aux autres tranches d’âge en population générale. En l’état actuel des données, ce point reste, à mon sens, indécidable.

Et les enfants ?

Beaucoup d’informations contradictoires ont été diffusées à propos des enfants, en particulier sur leur contagiosité. Début mai, je faisais un point sur les études concernant aussi bien leur susceptibilité à l’infection que leur contagiosité, en distinguant et décrivant les différentes méthodes mises en œuvre.

Les indicateurs sur les tests permettent de mettre en évidence que les moins de 20 ans, y compris les moins de 10 ans, sont susceptibles d’être infecté.es. Le taux de positivité chez les 10-19 ans testé.es est globalement stable depuis la semaine du 15 juin, autour de 10-11%. Celui des 0-9 ans a augmenté de façon continue jusque mi-juillet, passant de 1,9% à 6,8%, pour redescendre depuis à moins de 4%. Ces chiffres ne permettent pas de conclure à une plus faible susceptibilité au SARS-CoV-2 chez ces tranches d’âge, qui sont sous-représentées dans la population testée par rapport à ce qu’elles représentent dans la population générale. Ce qui a pu être observé en revanche est que les plus jeunes sont manifestement moins susceptibles de développer des formes symptomatiques et sévères de la maladie Covid-19. Ceci ne suffit pas à dire que les enfants sont moins susceptibles d’être infecté.es par le coronavirus, ni que ces tranches d’âge seraient moins contagieuses.

Le port du masque et le respect des autres gestes barrières à l’école, au collège et dans les universités paraissent donc être des mesures de prévention indiquées. Il serait pour le moins absurde que le bénéfice de l’obligation du port du masque dans les entreprises à partir du 1er septembre, ajoutée à celle, déjà en vigueur, dans les transports en commun, soit annihilé par une diffusion du virus parmi les jeunes, qui l’importeraient ensuite au sein de leur famille.

Pour conclure, non seulement l’affirmation selon laquelle l’augmentation du nombre de cas positifs serait seulement ou essentiellement due à l’augmentation du nombre de tests est fausse, mais il est également faux d’affirmer que l’épidémie est terminée, alors que les indicateurs sur les tests montrent que le coronavirus circule toujours, de manière croissante. Cette croissance n’est pas exponentielle, et il ne s’agit pas pour l’heure, dès lors, d’une « deuxième vague », si l’on réserve le terme de « vague » à une croissance exponentielle. Il n’en reste pas moins que l’épidémie n’est pas terminée. Les indicateurs hospitaliers sont par ailleurs également orientés à la hausse depuis plusieurs semaines concernant les entrées (nouvelles hospitalisations et nouvelles réanimations et soins intensifs), de façon pour l’instant arithmétique et non géométrique (graph. 5 et 6). La culture de la prévention doit donc primer sur la culture curative, a fortiori concernant un virus et une maladie contre lesquelles nous ne disposons pas, à ce jour, de traitement spécifique.

 

* Les deux indicateurs, nombre de tests réalisés et nombre de personnes testées, sont proposés par Géodes – Santé Publique France et ne donnent pas des chiffres identiques (une même personne pouvant par exemple être testée plusieurs fois). Je retiens le second pour calculer des ratios qui rapportent un nombre de personnes à un autre nombre de personnes.