Cet article a été initialement publié sur A Contrario en mars 2013.
Différence d’orientation sexuelle
A l’occasion des débats souvent houleux concernant le « mariage pour tous » (qu’on nous préserve tout de même de vouloir tou(te)s nous marier), a été mis en avant, entre autres, l’idée que l’égalité des droits pour les homosexuel(le)s reviendrait à faire fi des différences. Cet argument a notamment été avancé sous l’angle juridique : l’égalité des droits se rapporte à des situations semblables. Or, défendre l’égalité en matière de mariage consisterait à nier que la situation d’un couple homosexuel n’est pas semblable à celle d’un couple hétérosexuel, l’orientation sexuelle n’étant pas la même et celle-ci entraînant quelques effets différents concernant par exemple la possibilité de procréer. La différence d’orientation sexuelle justifierait donc une inégalité juridique entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels. Pourtant, il s’agit dans les deux cas d’une situation conjugale. Et concernant l’adoption, il n’aura échappé à personne qu’il ne s’agit pas d’avoir un enfant par procréation, que l’on soit homosexuel(le) ou hétérosexuel(le). Nous avons donc bien affaire à du semblable. Mais celui-ci n’est apparemment pas suffisamment puissant pour que la différence d’orientation sexuelle soit considérée comme secondaire. Déjà que les homosexuel(le)s ne pratiquent pas la différence des sexes, il ne faudrait pas qu’en plus on supprime du point de vue de la loi la différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel.
Différence des sexes
C’est le même genre de procédé qui consiste à s’appuyer sur une différence de fait pour justifier une discrimination légale que l’on retrouve dans les discours insistant sur les différences entre les hommes et les femmes, et leur supposée complémentarité, en lieu et place de l’égalité. Les critiques à l’égard de la « théorie du genre » sont la version moderne de ces discours réactionnaires. Le genre est un concept sociologique qui recouvre les manières multiples et variées dont le féminin et le masculin sont socialement construits et intériorisés par les membres de la société étudiée. Le féminin et le masculin ne sont pas des réalités naturelles mais des catégories socialement produites et auxquelles sont attribuées des caractéristiques. Ainsi au féminin rapporte-t-on habituellement la douceur, la sensibilité, l’amour, la passivité, la superficialité, le maternage fusionnel, le rose, la cuisine, la danse, les jupes et robes, etc. Tandis que le masculin se voit généralement attribué la force, la raison, le sexe, l’activité, la profondeur, la loi séparatrice, le bleu, le salon, le foot, les pantalons, etc. Et le féminin est généralement considéré comme la qualité première des femmes, et le masculin comme celle des hommes. Voilà le type (j’allais dire le genre) de choses qu’analysent les études de genre, et qu’elles peuvent critiquer en montrant comment ces répartitions socialement fabriquées perpétuent une hiérarchisation sociale entre les hommes et les femmes, au détriment de ces dernières, celles-ci étant considérées, du fait de leur caractère féminin, comme plus aptes au shopping et à la frivolité en général, là où les hommes, du fait de leur caractère masculin, sont considérés comme plus aptes au pouvoir et aux choses sérieuses en général.
Mais pour les dénonciateurs de la « théorie du genre », il s’agit de conserver la différence des sexes, car il est bien évident que les hommes et les femmes sont différents, il suffit de regarder entre leurs jambes. Ainsi la dénonciation des différences inégalitaires de genre sont-elles ramenées à une tentative de nier les différences anatomiques de sexe. Et les différences physiques de sexe justifieraient le sexisme, qui est une forme de racisme.
Quelques autres différences
Il n’y a pas que pour justifier des inégalités entre les sexes que les différences physiques sont mobilisées. La couleur de peau est une autre différence physique qui sert de justification au racisme. Avoir la peau noire, basanée ou jaune, sinon rouge, peut vite vous reléguer au rang de sous être humain. De même les différences de culture et de religion.
Ne pas confondre différence et inégalité
Dans tous ces cas, la différence, quelle qu’elle soit, sert d’alibi à l’inégalité. Partant, défendre l’égalité reviendrait, aux yeux de cette logique, à nier les différences, pourtant constatables. Or, dès lors que l’on ne confond pas différences et inégalités, on ne conçoit pas l’égalité comme l’abolition des différences. Une femme n’a pas besoin d’être un homme pour être son égale. L’égalité s’entend en un sens juridique et au niveau de l’organisation sociale entre les membres d’une société donnée, différents à divers égards. Les blonds et les bruns sont différents, ils n’en peuvent pas moins avoir les mêmes droits. L’égalité ne se fonde pas sur l’identique (le même), mais sur le semblable, qui comprend à la fois le commun et le différent. Entre un(e) homosexuel(le) et un(e) hétérosexuel(le), l’orientation sexuelle est différente, mais dans les deux cas il s’agit d’un être humain. De même entre un homme et une femme, un(e) noire et un(e) blanc(he), un(e) chrétien(ne), un(e) musulman(e), un(e) juif(ve), un(e) athée, etc.
Egalité des droits : le refus d’une société de privilèges
L’idée de droits humains vise l’égalité juridique entre les êtres humains, contre la justification de discriminations en raison de telles ou telles différences. Si certains droits dépendent, dans leur application, de certaines conditions, il s’agit des droits à (droits sociaux, qui consistent en principe à assurer les moyens sine qua non de subsistance, de même que certaines protections, et à corriger des écarts de conditions sociales trop importants), non des droits de (droits libertés) – les deux types de droits au demeurant s’imbriquent, l’absence de droits sociaux conduisant de fait à une inégalité dans les droits libertés et à des rapports de domination –. Le seul réquisit des droits libertés est la condition de majorité des citoyens dans un Etat donné. Ces droits n’ont pas à être différents selon le sexe, l’orientation sexuelle, la couleur de peau, etc. L’égalité des droits est l’un des fondements de la démocratie moderne, et c’est cette égalité qui permet, en principe, la liberté de toutes et tous, quelles que soient les différences, et sans avoir pour cela à les effacer. Les différences ne sont pas niées, mais elles ne fondent pas de privilèges. Celles et ceux qui insistent tant sur les différences, en revanche, cherchent à conserver ou à réintroduire des privilèges dont elles ou ils bénéficient ou voudraient pouvoir (de nouveau) bénéficier. Ce qui à leurs yeux constitue un désordre, une absurdité, voire une apocalypse, n’est rien d’autre que la perte de leur position privilégiée. C’est pourquoi dans leur bouche l’égalité est dénoncée comme égalitarisme, rejoignant alors les libéraux individualistes promouvant la liberté individuelle comme si celle-ci n’était que l’affaire de chaque individu – obtenant alors selon ses mérites supposés –, et non le fruit d’une organisation politique et sociale – dans laquelle on obtient d’abord ce que permet sa condition sociale.